«Le jour est à venir sans doute où les cieux disparaîtront comme un rouleau et où les éléments seront fondus par une chaleur ardente. Si petite est la valeur que la nature met aux formes périssables de la matière ! La question, donc, se réduit à celle-ci : les plus hautes qualités spirituelles de l’Homme, à la production desquelles toute cette énergie créatrice a contribué, doivent-elles disparaître avec le reste ? Tout ce travail a-t-il été fait pour rien ? Est-il tout éphémère, une bulle qui crève, une vision qui s’évanouit ?

Devons-nous regarder l’œuvre du Créateur comme celle d’un enfant qui bâtit des maisons avec du sable, pour le seul plaisir de les jeter à terre ?
»

John Fiske ( 1842 – 1901)

John Fiske, « La Question d’une Vie future », dans « La Destinée de l’Homme », traduit de l’anglais par Charles Grolleau, 1904

A cette question qui se pose : l’humanité doit-elle, après tout, partager le sort de l’herbe qui se fane et des bêtes qui périssent, toute l’argumentation précédente a un rapport qui n’est ni éloigné ni indirect.

Il n’est pas probable que nous ne réussissions jamais à faire de l’immortalité de l’âme un sujet de démonstration scientifique, car nous manquons de données requises. Elle restera toujours du domaine de la religion plutôt que de celui de la science. En d’autres termes, elle doit rester une de ces questions à propos desquelles je ne puis espérer convaincre mon voisin, tandis qu’en même temps, je puis personnellement nourrir sur le sujet une conviction raisonnable.

Dans le domaine de la physiologie cérébrale, la question peut être pour toujours débattue sans résultat. La seule chose que nous apprenne cette science, étudiée à l’aide de la physique moléculaire, est, à ce point de vue, contre le matérialiste. Elle nous enseigne que, durant la vie présente, bien que la pensée et le sentiment se manifestent toujours en connexion avec une forme particulière de matière, il est toutefois impossible que la pensée et le sentiment puissent, en aucun sens, être les produits de la matière. 

Rien ne peut être plus grossièrement antiscientifique que la fameuse remarque de Cabanis, savoir que le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile. Il n’est pas même correct de dire que la pensée se passe dans le cerveau. Ce qui se passe dans le cerveau est une série étonnamment complexe de mouvements moléculaires, avec lesquels la pensée et le sentiment sont en corrélation d’une manière inconnue, ni causes, ni effets, mais phénomènes concomitants ? Tant il est clair que la physiologie cérébrale ne dit rien au sujet d’une autre vie. En vérité, pourquoi le dirait-elle ? Le dernier endroit du monde où j’irais me renseigner sur un état de choses dans lequel la pensée et le sentiment peuvent exister en l’absence d’un cerveau, ce serait un laboratoire de physiologie cérébrale.

La supposition matérialiste qu’un tel état de choses n’existe pas, et que la vie de l’âme en conséquence finit avec la vie du corps, est peut-être le plus colossal exemple de supposition sans fondement qui soit connu dans l’histoire de la philosophie. Nulle preuve à l’appui ne peut être alléguée au-delà de ce fait familier que, durant la vie présente, nous ne connaissons l’âme qu’en association avec le corps et ne pouvons, par conséquent, découvrir d’âme désincorporée sans mourir nous-même. Ce fait doit toujours nous empêcher d’obtenir la preuve directe pour croire à la survivance de l’âme. Mais une supposition négative n’est pas créée par l’absence de preuves dans le cas où, par la nature des choses, la preuve est inattingible. Par son hypothèse illégitime d’annihilation, le matérialiste dépasse les limites de l’expérience autant que le poète qui chante la Nouvelle Jérusalem avec son fleuve de vie et ses rues pavées d’or. Scientifiquement parlant, il n’y a pas une parcelle de preuve en faveur de l’un ou de l’autre de ces points de vue.

Mais quand nous renonçons à cette futile tentative d’introduire la démonstration scientifique dans une région qui, sans contredit, dépasse l’expérience humaine, et quand nous examinons la question sur le vaste terrain de la probabilité morale, il est hors de doute que les hommes continueront dans l’avenir, comme ils l’ont fait dans le passé, à nourrir la foi en une vie au-delà du tombeau. L’incroyance en l’immortalité de l’âme a toujours, au temps jadis, accompagné ce genre de philosophie qui, sous quelque nom que ce soit, n’a regardé l’humanité que comme un incident local dans une série sans fin et sans but de changements cosmiques. Règle générale, les gens qui en sont venus à se faire une telle idée de la place occupée par l’Homme dans l’univers ont cessé de croire à une vie future. D’un autre côté, celui qui regarde l’Homme comme le chef-d’œuvre consommé de l’énergie créatrice, et le principal objet de la sollicitude divine est presque irrésistiblement porté à croire que la carrière de l’âme ne s’achève pas avec la vie présente sur la terre. Il s’attendra naturellement à rencontrer des difficultés théoriques sur bien des points, mais ces difficultés n’affaibliront pas sa foi, surtout s’il se souvient que, pour l’opinion adverse, les difficultés sont au moins aussi grandes. Nous vivons dans un monde de mystère, en tout cas, et il n’est pas de problème dans les parties les plus simples et les plus exactes de la science qui ne conduise rapidement à un problème transcendant que nous ne pouvons ni résoudre, ni éluder. On a dû souvent faire appel au vulgaire bon sens où l’analyse métaphysique avait dû s’avouer vaincue.

Nous avons vu maintenant que la doctrine de l’évolution ne nous permet pas d’épouser l’opinion athée sur la place occupée par l’Homme. Il est vrai que l’astronome moderne nous montre des sphères géantes de vapeur se condensant en soleils de flamme, se refroidissant en planètes propres à l’entretien de la vie et devenant enfin, comme la lune, froides et rigides dans la mort. Et là sont les indications d’un temps où les systèmes de planètes mortes tomberont dans leur foyer central, maintenant tout en cendres, qui fut jadis un soleil, et toute la masse sans vie reprenant ainsi chaleur s’épandra en un nuage nébuleux comme celle d’où nous partîmes, pour que l’œuvre de condensation et d’évolution puisse recommencer encore. Ces évènements titanesques doivent sans doute paraître à notre vue bornée comme une série sans fin et sans but de changements cosmiques. Ils ne révèlent aucun plan, aucune tendance ordonnée ; ils ressemblent au travail épuisant de Sisyphe. Mais sur la face de notre planète, là où nous sommes capables d’examiner le procédé d’évolution dans ses détails les plus élevés et les plus complexes, nous trouvons des indications distinctes d’une tendance ordonnée, sinon d’un plan au sens limité de l’esprit humain. La théorie darwinienne, convenablement comprise, reconstruit autant de données téléologiques qu’elle en détruit. Dès la première aube de la vie, nous voyons toutes choses travaillant ensemble vers un but imposant : l’évolution des qualités spirituelles les plus exaltées qui caractérisent l’Humanité. Le corps est rejeté et retourne à la poussière dont il est formé. La terre, si merveilleusement ouvrée pour les usages de l’homme, sera rejeté elle aussi. Le jour est à venir sans doute où les cieux disparaîtront comme un rouleau et où les éléments seront fondus par une chaleur ardente. Si petite est la valeur que la nature met aux formes périssables de la matière ! La question, donc, se réduit à celle-ci : les plus hautes qualités spirituelles de l’Homme, à la production desquelles toute cette énergie créatrice a contribué, doivent-elles disparaître avec le reste ? Tout ce travail a-t-il été fait pour rien ? Est-il tout éphémère, une bulle qui crève, une vision qui s’évanouit ?

Devons-nous regarder l’œuvre du Créateur comme celle d’un enfant qui bâtit des maisons avec du sable, pour le seul plaisir de les jeter à terre ?  Par tout ce que la science peut nous enseigner, il peut en être ainsi, mais je ne puis voir aucune bonne raison pour croire une telle chose. D’après un tel point de vue, l’énigme de l’univers devient une énigme sans signification. Pourquoi donc serions-nous plutôt appelés à rejeter notre croyance en la permanence de l’élément spirituel en l’Homme que notre croyance en la constance de la Nature.

Questionné sur le fondement de notre invincible croyance que de mêmes causes doivent toujours être suivies par de mêmes effets, la réponse de M. Mills fut que c’est là le résultat d’une induction coétendue à la somme de notre expérience ; la réponse de M. Spencer fut que c’est un postulat que nous faisons dans tout acte d’expérience ; mais les auteurs de l’Univers invisible, modifiant légèrement la forme de l’exposé, l’appelèrent un suprême acte de foi, – l’expression d’une confiance en Dieu , nous faisant croire qu’il « ne nous condamne pas une permanente confusion intellectuelle ».

Maintenant, plus nous comprenons à fond ce procédé d’évolution par lequel les choses sont venues à être ce qu’elles sont, plus nous sommes fondés en toute vraisemblance à sentir que nier la persistance éternelle de l’élément spirituel de l’Homme, c’est dépouiller tout le procédé de sa signification. Il est loin de nous condamner à une permanente confusion intellectuelle, et je ne vois pas que personne ait encore apporté ou puisse jamais vraisemblablement apporter une raison suffisante pour que nous acceptions une aussi cruelle alternative. 

Pour ma part, je crois à l’immortalité de l’âme, non dans un sens où j’accepte les vérités démontrables de la science, mais comme suprême acte de foi en la logique de l’œuvre de Dieu. Une telle croyance, ayant trait à des régions tout à fait inaccessibles à l’expérience, ne peut naturellement être énoncée en termes d’un sens défini et tangible. Pour l’expérience qui seule peut nous donner de tels termes, nous devons attendre ce jour solennel que nous verrons tous. La croyance peut être très rapidement définie par sa négation, comme le refus de croire que ce monde est tout. Le matérialiste soutient que, lorsque vous avez décrit tout l’univers de phénomènes que nous pouvons connaître dans les conditions de la vie présente, toute l’histoire est contée. Il me semble, au contraire, que toute l’histoire est loin d’être achevée. Je sens l’omniprésence du mystère d’une telle façon qu’elle rend beaucoup plus aisé pour moi d’adopter l’opinion d’Euripide : que ce que nous nommons la mort peut n’être que l’aube de la vraie connaissance et de la vraie vie. Le plus grand philosophe des temps modernes, le maître et l’instructeur de tous ceux qui étudieront le procédé d’évolution pendant longtemps encore, maintient que l’âme consciente n’est le produit d’un groupement de particules de matière, mais est au sens le plus profond une émanation divine. Suivant Herbert Spencer, l’énergie divine manifestée dans tout l’univers connaissables est la même énergie qui jaillit en nous comme conscience. Pour moi, je ne puis voir de difficulté insurmontable dans la notion qu’à une certaine période de l’évolution humaine, cette divine étincelle aura acquis une concentration et une force suffisantes pour survivre à la destruction des formes matérielles et durer pour toujours. Un couronnement aussi merveilleux dans toutes ses myriades de phases.

C’est seulement sur une telle base que la logique de l’univers, qui demeure encore bien loin au-dessus de notre faculté finie de compréhension, peut maintenir son existence. Il est des esprits inaccessibles à la classe de considérations ici apportées et peut-être y en aura-t-il toujours. Mais sur de telles bases, sinon sur une autre, la foi en l’immortalité est susceptible d’être partagée par tous ceux qui considèrent la genèse des plus hautes qualités spirituelles en l’Homme comme le but de l’œuvre créatrice de la Nature. Elle a survécu à la révolution copernicienne en science, et elle a survécu à la révolution darwinienne ; bien plus, si l’explication précédente est solide, c’est le Darwinisme qui a placé l’Humanité sur le sommet le plus haut qui fût jamais.

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